Les textes littéraires peuvent-ils fournir des clés pour affronter le « choc des civilisations » qui paraît inévitable dans le monde contemporain ? La question se pose, selon l’historien des religions Nicola Gasbarro, au moment où les sciences humaines, après Tristes tropiques, ne sont plus en mesure de proposer des modèles permettant de « saisir l’aventure anthropologique des relations entre les civilisations ».
Ce dossier interroge la manière dont la littérature a représenté la différence culturelle et anthropologique au cours des siècles. En variant les perspectives, et à partir d’horizons épistémologiques différents, il propose l’étude d’œuvres et d’auteurs appartenant à des périodes historiques particulièrement significatives de la rencontre de l’Occident avec ses altérités. Qu’il s’agisse d’un surprenant récit idyllique médiéval qui bouscule les représentations de l’Orient et des musulmans, de la reprise par le théâtre des Lumières des politiques jésuites d’accomodatio en Asie, des images du Québec dans la correspondance d’une femme de la colonie française au XVIIIe siècle, de la construction de l’image de l’Indien dans les romans brésiliens depuis le XIXe siècle, ou encore, à l’époque postcoloniale, des romans de Sony Labou Tansi, des récits de la Québécoise Monique Proulx, ou du théâtre de Jean-Claude Grumberg, tous soulignent moins l’irréductibilité d’un affrontement que la recherche de compatibilités, d’interactions et de métissages dont la littérature est un des lieux privilégiés. Dans un texte inédit, l’écrivain québécois Pierre Samson, auteur d’une « trilogie brésilienne » (Le Messie de Belém, Un garçon de compagnie et Il était une fois une ville) marquée par une altérité polyphonique puissante, défend cette logique littéraire du « nous révélé par l’autre ».