Au développement des infrastructures de transports s’attache un paradoxe qui, sans être nouveau, semble aller croissant : alors que les besoins d’une société d’hypermobilité appellent à une amélioration constante, leur remise en cause n’a jamais été aussi systématique. L’actualité donne le témoignage récurrent des oppositions, parfois violentes, à tel projet d’aéroport, de tunnel, d’autoroute ou de LGV. Certes, les projets d’infrastructures de transport ne sont pas les seuls à être le théâtre de telles manifestations. C’est le lot plus large de nombreux équipements du territoire dans le domaine de l’aménagement rural, de l’énergie ou du tourisme. Ceci étant, les infrastructures de transport cristallisent de fortes oppositions. On évoque alors rapidement le phénomène bien connu de nimby (Not In My BackYard ou « pas derrière chez moi »). Sans doute est-ce vrai et sans doute ne doit-on pas toujours balayer d’une accusation d’égoïsme socio-territorial cette réactivité citoyenne. Mais les projets d’infrastructures de transport posent aussi des questions plus larges que celles d’un simple localisme paysager. Leur rejet interroge la pertinence d’une mobilité sans limite, faisant fi d’impacts environnementaux allant bien au-delà de la sauvegarde d’un scarabée ou d’une grenouille, érigés comme autant de nouveaux totems d’une « nature » sacralisée. On pense à la qualité de l’air notamment. À l’inverse, ces oppositions perdent de vue parfois la dimension économique plus large de tel ou tel équipement, oubliant en outre que celui-ci peut également être l’occasion de reposer les termes modaux de certaines mobilités. La conflictualité, loin de n’être qu’une étape dilatoire, n’est-elle pas aussi un moment indispensable à l’acceptabilité du projet voire à son amélioration ?
Ce numéro ne peut avoir la prétention d’embrasser la totalité de cette thématique. Par exemple, point de contributions autour des ports maritimes et des aéroports. L’approche dominante par les infrastructures routières et ferroviaires permet néanmoins d’envisager le fond de la conflictualité. Dans la ligne éditoriale de la revue, les exemples développés le sont dans le Sud-Ouest français et la péninsule Ibérique, laissant une place à la question pyrénéenne. Au fil de la dizaine d’articles sont ainsi envisagés plusieurs points de controverses autour du déploiement du ferroviaire, qu’il s’agisse de LGV, au Pays basque, entre Perpignan et Barcelone, entre Bordeaux et Toulouse, ou de lignes plus classiques mais relançant l’hypothèse polémique d’un franchissement des Pyrénées.
Ce numéro est aussi l’occasion d’une mise au point sur la politique des infrastructures de transport, pour le moins surprenante, menée par les autorités espagnoles. À une autre échelle, sont abordées des problématiques plus urbaines, qu’il s’agisse des hésitations entourant le développement du vélo à Saragosse, du déploiement d’une nouvelle ligne de bus à Toulouse ou, pour sortir du seul déplacement de voyageurs, d’une réflexion autour de la logistique urbaine dans le centre-ville toulousain. Deux articles nous font quitter le Sud-Ouest européen, l’un abordant les débats autour de l’agrandissement de la gare ferroviaire de Genève, tandis que l’autre, trouvant un écho particulier avec les Pyrénées proches, évoque les contestations nées du projet du tunnel de base du Brenner dans les Alpes.