Il s’agit dans ce numéro d’interroger le rapport des Juifs à la modernité, à travers le temps, mais également, voire surtout, dans une approche spatiale diversifiée (Maroc, Égypte, Libye, ensemble du monde arabo-musulman, mais aussi Canada, Argentine pour le monde américain, et enfin, Israël).
La première question liée à la notion même de diaspora est celle des espaces dans lesquels les Juifs au cours de l’histoire se sont déplacés et souvent ont été contraints de le faire. Le numéro s’attache à saisir, à partir de diverses situations géographiques, le sens de cette expérience migratoire, les lieux de départ et les lieux d’établissement, les durées, la force des ancrages locaux, la diversité des parcours et des circulations, l’appel vers de nouveaux horizons, la relation à Israël et aux autres territoires.
Mais au-delà d’un rapport à l’espace, c’est à l’accès à la modernité que s’intéresse ce numéro. En effet, le déplacement des Juifs s’effectue vers des espaces de liberté et de sécurité, confirmant ce que Pierre Birnbaum a appelé une « géographie de l’espoir », qui redessine le paysage aujourd’hui concentré sur les sociétés occidentales démocratiques. On oscille alors entre, d’un côté, le retour à la localité d’origine, au village, à la communauté, et le cortège de mythes, de croyances, de cultes, de célébrations et de pèlerinages qui s’y rattachent, et de l’autre côté, la circulation dans de plus vastes espaces que permettent la rapidité des transports et la navigation sur le web.
La redéfinition de la distance spatiale, qui est aussi une distance sociale, est au cœur de la problématique de ce numéro. Elle éclaire plus généralement des questions essentielles de notre temps, comme celle des appartenances et des attachements multiples, celle du rapport aux lieux, largement tributaire des possibilités de retour ou de refuge, et in fine la question anthropologique de l’exil et, dans cette expérience particulière, du rapport à l’autre.