« Cave musicam ! » lançait Nietzsche, mettant en garde contre le pouvoir anesthésiant de la musique. Défiance de la littérature à l’égard de l’art des sons, lassitude agacée, voire, plus rarement, aversion caractérisée, la mélophobie n’est que bien rarement viscérale : l’on devine derrière nombre de déclarations hostiles à la musique d’autres cibles. « Je l’aime plus que je ne l’estime… » disait Valéry : à ce procès « sémiotique », qui pointe l’irresponsabilité d’un art non-signifiant, se greffent des mises en cause morales, sociales, historiques, des positionnements philosophiques, idéologiques. Théorisée ou dirigée plus volontiers contre un compositeur (« Wagnérophobie »), un genre (« jazzophobie »), voire un instrument (« pianophobie »), la mélophobie se décline, se nuance, s’infléchit, s’utilise comme posture contestataire ou outil critique, interrogeant, en dernier ressort, la fonction et le statut de la littérature.
Les textes rassemblés dans le présent volume mettent en avant ces discours seconds, abordant des aspects parfois inattendus de la mélophobie. Un premier groupe d’études, dédié à la poésie, aborde l’esthétique symboliste, mais aussi les oeuvres de Rilke et Prévert. Viennent ensuite des textes centrés sur la question d’une « idéologie mélophobe », perceptible chez de grandes figures (Hegel, Freud) ou prenant pour cible une musique bien définie : le jazz, la techno. Enfin, un dernier volet consacré au roman propose des analyses sur Kundera, Dominique Fernandez, Helmut Kraussner, Richard Powers et Bret Easton Ellis.