À l’heure où l’on multiplie les appels au respect, il n’est pas inutile de rappeler qu’en art la vitalité créatrice au XXe siècle a plutôt été du côté de l’irrespect : de Jarry aux surréalistes, de Michaux aux situationnistes, on a beaucoup brisé les idoles. Encore faut-il s’entendre sur ce dont on parle : tous les irrespects ne se valent pas. Tout dépend de leur visée. L’irrespect est-il une fin, un jugement qui clôt, ou ouvre-t-il sur autre chose ? Exprime-t-il un nihilisme destructeur qui affirme que rien n’est respectable ? Ou est-il la manifestation d’une forme humoristique d’idéalisme, comme lorsque Romain Gary écrit qu’« il n’y a pas de valeurs concevables sans l’épreuve de l’irrespect » ? En ce sens, irrespect et respect ne sont pas incompatibles : l’irrespect marque la volonté d’apprécier soi-même ce que l’on respecte. Il devient mise à l’épreuve de ce qui doit être respecté.
Ce numéro est consacré à des œuvres littéraires, philosophiques, cinématographiques et musicales manifestant de l’irrespect au XXe siècle. Il propose une réflexion d’ensemble sur la notion, des lectures d’auteurs majeurs (Jarry, Nietzsche, Pia, Sarraute, Gombrowicz, Gracq, Gary, Boudjedra), deux études sur les cinémas iranien (Jafar Panahi) et cubain, et il met en lumière la place originale d’œuvres peu connues (Messac, Martinet, le théâtre de Félix Guattari), voire inédites en français (comme le texte de la cantate satirique de Chostakovitch, Rayok).